Ce n'est pas un festival féministe.

Le Fame Festival, qui aura lieu du 19 au 24 septembre à Bruxelles, a pour objectif de mettre en avant le travail artistique des femmes et des minorités de genre afin de donner une visibilité à des perspectives et des visions alternatives du monde. J'ai rencontré Camille (elle) et Eff (ils), deux des sept personnes travaillant sur ce projet, afin de discuter de la vision, de la méthodologie et des objectifs du festival.

D'où est venue l'idée du festival et comment s'est construit le projet ?

Camille : Fame Festival est né de l'initiative de Delphine Houba (l'échevine de la culture à Bruxelles) en partenariat avec le Théâtre Riches-Claires qui souhaitait soutenir le travail artistique des femmes et des minorités de genre en créant un nouveau festival artistique.

Lorsque notre équipe a commencé à travailler sur le nom et l'idée générale du festival, l'une des choses les plus importantes que nous voulions mettre en avant était de créer un festival interdisciplinaire d'arts du spectacle basé sur une méthodologie féministe plutôt qu'un simple événement féministe de plus.

Notre objectif principal est donc de développer un festival d'arts et de culture, et non un festival militant.

Mais le fait est qu'il y a un engagement dans la manière de programmer, dans le positionnement politique du festival, dans le recrutement de l'équipe et à différents niveaux il y a une attention particulière aux questions politiques. En effet, les objectifs du festival ont été définis sur base de différentes observations et études académiques qui ont été réalisées ces dernières années, notamment l'étude réalisée par "Ecarlate la compagnie", "La Chaufferie acte un", et l'université de Liège qui met en évidence les inégalités entre les hommes et les femmes dans le domaine des arts du spectacle.

En gros, cette étude montre qu'il y a autant de femmes que d'hommes qui entrent dans les écoles d'art, mais qu'au fur et à mesure de leur carrière, il y a de moins en moins de femmes sur scène ou qui font de longues carrières. De plus, il y a moins de femmes qui occupent des postes de direction dans les théâtres. En effet, la plupart des emplois à responsabilité, ou à valeur symbolique et à pouvoir économique sont principalement occupés par des hommes.

Ainsi, lorsque nous avons construit le festival, l'idée était d'en faire un événement de grande envergure, destiné au grand public, et pas seulement un petit festival de niche. Pour cette raison, nous avons travaillé sur un programme qui est à la fois international et local afin de soutenir les artistes belges, et les artistes vivant en Belgique, y compris les artistes expérimentés ainsi que les artistes émergents. Et le but est vraiment d'abolir les catégories et les hiérarchies qui peuvent être présentes dans ce domaine.

Vous l'avez mentionné tout à l'heure, il s'agit d'un festival d'arts et de culture et non d'un festival féministe, pouvez-vous nous en dire un peu plus ?

Camille : Pour nous, il était important de séparer les deux sphères (l'art et l'activisme), car il existe également de nombreuses façons de les connecter et de créer des dialogues entre elles.

Il y a donc le domaine artistique, le domaine militant et le domaine universitaire, et ce qui est intéressant, c'est de savoir comment toutes ces sphères circulent et se connectent entre elles.

Et la raison pour laquelle il ne s'agit pas d'un festival féministe mais plutôt d'un dialogue avec les féminismes, c'est parce que nous ne voulions pas forcer les artistes à ne parler que de genre, de sexualité, de violence ou d'activisme, mais plutôt encourager les travaux artistiques sur tous les sujets, mais à travers leur propre prisme, avec leur propre perspective du monde, afin de proposer un nouvel imaginaire, de nouvelles façons de regarder le monde.

Eff : Cependant, notre méthodologie est clairement féministe. Parce qu'au final, c'est ça le féminisme, c'est développer des outils pour remettre en cause les dynamiques de pouvoir et en créer de nouvelles.

Avez-vous rencontré des obstacles dans la création du festival ? Et comment les avez-vous surmontés ?

Camille : L'un des principaux enjeux est de définir le positionnement politique et éthique le plus juste. Nous croyons à la nécessité de modifier les catégories, d'abolir les hiérarchies normatives. Le festival vise à mettre en relation des institutions, des activistes, des artistes, des universitaires, des professionnels et des amateurs, plus ou moins marginalisés. Ce sont des sphères qu'il n'est pas facile de relier entre elles d'une manière qui ne reproduise pas la violence systémique, surtout lorsque nous héritons également de ce système.

Cependant, comme le festival est nouveau, c'est l'occasion non pas de changer une institution de l'intérieur, mais de créer un autre type d'institution, plus ouverte, moins verticale, un espace où le dialogue existe, où la critique est entendue et fait partie du processus, qui n'ignore pas que d'autres personnes et d'autres collectifs travaillent dans la même direction.

Selon vous, qu'est-ce que cela implique d'être une femme/minorité et une artiste aujourd'hui ?

Camille : Je pense que l'un des plus gros problèmes est qu'il y a une forme d'essentialisation des gens concernant ces questions. Par exemple, les festivals ou les conférences vont programmer des femmes pour parler de sexisme ou des personnes racisées pour parler de questions décoloniales, mais en fait il y a des artistes qui aimeraient parler d'autres choses aussi.

On a l'impression que la seule façon pour les institutions d'inclure les minorités est de les restreindre à parler de la violence systémique qui découle de leur propre identité. Avec le Fame Festival, nous avons dit aux artistes : ne parlez pas seulement de vos identités, parlez de tous les sujets que vous voulez, mais de votre propre point de vue.

Eff : En tant que personne trans, j'ai aussi l'impression que les gens ne comprennent pas nos luttes, nos identités, nos expériences. Comme tu viens de le mentionner, les gens n'abordent nos problèmes qu'à travers le prisme de la violence, mais quand je pense à mon expérience en tant que personne trans, je ne pense pas à la violence, je pense à l'amour inconditionnel que j'ai trouvé dans ma communauté. Et je suis tellement triste que les gens ne le sachent pas, les gens résument mon existence à la prostitution, à la vie dans la rue et à la mort, c'est tellement triste parce que nous avons beaucoup plus à apporter au monde à travers nos expériences en tant que personnes trans que de donner des conférences sur la violence ou la discrimination.

En fin de compte, l'un des aspects les plus importants des arts et de la culture est qu'ils façonnent notre imagination du monde. Avec ce festival, l'idée est de dire : l'art peut, bien sûr, être parfois critique, mais il peut aussi offrir des modèles nouveaux et alternatifs, des perspectives et des façons différentes de regarder le monde.

Le Fame Festival aura lieu du 19 au 24 septembre à Bruxelles (Riches-Claires, KVS, Tour à Plomb, Montagne Magique, Bellone, Cinematek et Plaine du Quai à la Houille).

Plus d'informations sur leur site web : https://famefestival.be/fr/accueil/ et Instagram : @fame_festival

Étude mentionnée dans cet article :

Eyckmans, G., Grandry, C., Lowies, J-G., Poisot, E. (2020). Les arts de la scène sous le prisme du genre et de la diversité (https://acte3-4.deuxiemescene.be/wp- content/uploads/2020/10/Rapport-final-Presence-des-femmes-Arts-de-la-scene.pdf)

Autres ressources sur ce sujet :

Étude menée par Raphaëlle Doyon sur les trajectoires professionnelles des femmes artistes dans le milieu de l'art dramatique : http://www.hf-idf.org/2015/03/16/les-trajectoires-professionnelles-des- artistes-femmes-en-art-dramatique-par-raphelle-doyon-chargee-detude

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