Visions d'inclusion pour Nawal Ben Hamou

Nous avons rencontré Nawal Ben Hamou. La Secrétaire d'Etat au logement et à l'égalité des chances de la Région de Bruxelles-Capitale, pour discuter de la Plan régional d'inclusion LGBTQIA+ à Bruxelles qui a été présenté en février dernier. Il comprend 35 actions concrètes pour améliorer l'inclusion des personnes LGBTQIA+ entre 2022 et 2025. 

Depuis le lancement de ce plan, des évolutions sont déjà apparues, notamment en matière de santé (maison de la santé arc-en-ciel), d'hébergement, et d'asile (centre d'accueil pour les jeunes LGBTQIA+, centre d'accueil pour les demandeurs d'asile LGBTQIA+). Pouvez-vous nous parler de ces évolutions en cours ?

Je commencerai, tout d'abord, par un mot sur le plan d'inclusion des personnes LGBTQIA+ : Dans sa déclaration de politique générale de juillet 2019, le Gouvernement bruxellois a marqué sa volonté d'améliorer la sécurité et l'inclusion des personnes LGBTQIA+ sur le territoire de la Région. En élaborant et en mettant en œuvre le Plan bruxellois pour l'inclusion des personnes LGBTQIA+ 2022-2025, j'ai souhaité aborder tous les aspects de cette thématique de manière coordonnée, transversale, transparente et efficace. Il s'agit du deuxième Plan de la Région, qui fait suite à une évaluation approfondie du premier Plan 2017-2020.

Ce deuxième plan s'appuie principalement sur les recommandations des organisations LGBTQIA+ recueillies lors de l'évaluation du plan précédent, qui avait permis d'identifier quatre axes d'amélioration : Lutter contre les violences et assurer une politique de suivi efficace, notamment en lien avec la police et le parquet (pour 75% des organisations). Mettre en œuvre des mesures de sensibilisation et de prévention (pour 71% d'organisations). Promouvoir la collaboration, le travail en réseau et les actions transversales (pour 71% d'organisations). Améliorer la réglementation (pour 67% d'organisations).

En termes de projets innovants issus du plan, je peux vous parler du futur centre d'hébergement qui ouvrira ses portes cet été. La région manquait de logements pour certains groupes cibles tels que les jeunes LGBTQIA+ de 18 à 25 ans en errance et/ou en rupture avec leur famille, qui sont pour la plupart confrontés à des difficultés sociales, n'ont pas de groupe social d'appartenance et font face à un rejet réel ou anticipé de la part de leur famille.  

La trentaine de places associatives actuelles, bien que soutenues financièrement par la Région bruxelloise, ne suffisaient pas à couvrir la demande de places d'accueil d'urgence pour ces jeunes. Il est également un fait que la pandémie de Covid et les enfermements successifs ont augmenté la violence intrafamiliale et la demande d'hébergement d'urgence. 

En 2020 déjà, l'Agence des droits fondamentaux estimait qu'une personne LGBTQIA+ sur cinq était confrontée au sans-abrisme, ce chiffre passant à un sur trois pour les personnes trans et à près de 40% pour les personnes intersexuées. La récente enquête, réalisée par la Fédération européenne des associations nationales travaillant avec les sans-abri (FEANTSA), met également en évidence des phénomènes de marginalisation et d'exclusion souvent ignorés concernant les jeunes LGBTQIA+. 

Afin de favoriser l'inclusion des personnes LGBTQIA+, en particulier les jeunes, il est nécessaire de garantir leur intégrité physique et psychologique et d'intervenir avant qu'elles ne soient exposées aux nombreux problèmes liés à l'itinérance. L'augmentation du nombre de places disponibles grâce à l'acquisition par la Région d'une infrastructure dédiée permettra de répondre aux besoins identifiés dans ce domaine. L'accueil sera également accompagné d'un soutien professionnel afin de favoriser la reconstruction et l'émancipation des jeunes LGBTQIA+. Les travaux d'aménagement sont en cours et le futur exploitant est sur le point d'être sélectionné par un jury de professionnels. Le centre d'hébergement ouvrira officiellement ses portes au début de l'année 2023, mais pourra déjà être partiellement occupé cet été pour répondre aux urgences. 

J'aimerais également parler de sécurité. Cette semaine, nos partenaires de Brussels Prevention and Security ont publié les résultats d'une analyse sur les violences LGBTQIA+phobes en Région bruxelloise, après avoir mobilisé des données inédites issues d'un partenariat entre equal.brussels, Brussels Prevention and Security et la Rainbow House. 

En 2020, les zones de police de Bruxelles n'ont enregistré que 34 contraventions pour des actes liés à la discrimination homophobe. Cependant, le secteur associatif, ainsi que l'enquête menée par l'Agence des droits fondamentaux de l'Union européenne, montrent une toute autre réalité : en Belgique, 66% des personnes interrogées évitent encore de se tenir la main pour ne pas être dévisagées, 27% des personnes interrogées évitent certains lieux de l'espace public par peur d'être agressées et 42% des personnes interrogées disent avoir été harcelées dans l'année précédant l'enquête et une personne trans et intersexe sur cinq a été agressée physiquement ou sexuellement dans les cinq années précédant l'enquête. 

Il existe donc un véritable chiffre noir de la violence et de la discrimination. Afin d'avoir une idée plus fiable de ces actes LGBTQIA+phobes, nous avons développé un projet pilote pour déposer des rapports auprès de la RainbowHouse. 42 rapports supplémentaires, soit plus que le nombre de plaintes déposées dans toute la Région, ont été collectés grâce à ce projet financé par equal.brussels et BPS. L'objectif est de continuer à développer ce service. 

Malheureusement, trop souvent, les victimes de ces violences ne portent pas plainte. Porter plainte est pourtant un acte essentiel, même s'il est parfois difficile. C'est aussi une étape importante pour formaliser le préjudice subi, pour permettre aux victimes de se reconstruire, pour poursuivre les auteurs et les mettre face à leurs responsabilités. Porter plainte est aussi un acte militant, déterminant pour la collectivité. Car c'est en objectivant et en analysant le phénomène qu'on le combat avec plus d'efficacité. Et c'est sur la base d'un suivi précis de ces plaintes que nous pourrons mener des politiques de prévention efficaces, mais aussi mieux former et coordonner l'intervention des services de police. 

Les victimes parlent principalement d'un manque de confiance dans la police ou de sentiments de honte ou de peur. Nous travaillons sur la question de l'accueil dans les commissariats et la formation des agents au sein des 6 zones de police de la région, comme le prévoit notre Plan d'inclusion LGBTQIA+ que j'ai adopté en février dernier. La lutte contre le sous-signalement et l'amélioration du suivi des plaintes sont des actions clés de ce Plan. 

Le montant de 300 000 € a été annoncé en même temps que le plan visant à assurer un soutien financier au secteur associatif LGBTQIA+. Comment cela se traduira-t-il concrètement ?   

La 4e action du plan d'inclusion LGBTQIA+ prévoit un soutien financier accru pour le secteur associatif LGBTQIA+, ce qui permettra aux associations LGBTQIA+ de mener à bien plusieurs nouveaux projets de qualité. 

Mon administration pour l'égalité des chances, equal.brussels, a lancé le 1er février un premier appel à projets "égalité des chances" pour un montant global de 1,5 millions d'euros, dont 230.000€ ont été attribués à des projets répondant à la thématique LGBTQIA+. Celui-ci s'adressait aux associations proposant des projets de sensibilisation et d'implication d'un large public aux différents aspects de la politique régionale d'égalité des chances. Les autres thèmes étaient l'égalité des sexes, la lutte contre le racisme, la prise en compte du handicap, la monoparentalité et les violences faites aux femmes. Les projets sélectionnés ont tous été objectivement pondérés par equal.brussels. Je profite de l'occasion pour rappeler à nos partenaires associatifs qu'une deuxième vague d'appel à projets sera lancée le 1er juin prochain. 

20200312 Brussel Belgie : Nawal Ben Hamou (PS) est staatssecretaris van Huisvesting en Gelijke kansen in de Brusselse gewestregering. Copyright Bart Dewaele

En ce qui concerne les projets soutenus lors du premier appel à projets, qui s'est clôturé le 31 mars : 

Nous soutenons le projet de recherche #wecare de l'Observatoire du sida et des sexualités, qui vise à évaluer la pertinence de la création d'un centre de santé spécifique pour les personnes de genres et sexualités divers, un centre de santé qui serait inclusif et intersectionnel. Des entretiens ont été menés auprès de professionnels de santé et du secteur des associations LGBTQIA+ afin de mieux comprendre les besoins et les attentes des patients. Ce travail de recherche alimentera le projet MACS mené par Ex-Aequo, qui se déroulera temporairement dans le projet Grandes Carmes, au cœur du quartier Saint-Jacques. 

Un autre exemple que je voulais partager avec vous est le soutien au projet Nyangazam : comme on le sait, la Belgique est une terre d'accueil pour les exilés qui fuient leur pays en raison de leur orientation sexuelle. Ces réfugiés sont encore trop souvent confrontés à des questions identitaires, mais aussi à des difficultés administratives et d'intégration dues à leur statut spécifique. Ce projet artistique de théâtre et de danse vise à sensibiliser et à mettre en lumière les souffrances vécues par ces personnes éloignées de leur pays. La chorégraphe proposera un spectacle mêlant danse, théâtre, vidéo et chant dans une performance interdisciplinaire avec 4 danseurs d'origine africaine exprimant tour à tour une attirance mutuelle mêlée de culpabilité face au jugement porté par la société d'abord africaine, puis européenne. 

Nous soutenons également le projet de formation de l'Epicentre ASBL qui se décline en 3 étapes. Tout d'abord, l'organisation de groupes de discussion autour de la problématique de la santé globale et inclusive auprès de jeunes, faisant partie d'une minorité de genre ou d'orientation sexuelle/LGBTQIA+, d'origines socioculturelles diverses, autour de leurs besoins et expériences liés à leur santé (physique, mentale, psychique, sociale, etc.) et à ses déterminants sociaux. Ensuite, l'organisation de groupes de discussion avec des professionnels de la santé qui partageront leurs expériences pratiques, leurs difficultés et leurs questions professionnelles en lien avec la thématique. Enfin, à l'issue de ces rencontres et regards croisés, le projet " Expert.es de ma santé " donnera lieu à une formation destinée aux professionnels de santé, dont le contenu rassemblera les enseignements tirés de ces groupes de discussion. 

On a également beaucoup parlé du secteur HORECA et du monde de la nuit ces derniers mois (témoignage de Haron Zaanan, Balance Ton Bar). Comment comptez-vous assurer le respect et la sécurité des personnes LGBTQIA+ dans ce type d'établissements ? 

Le traitement de Haron Zaanan par cet établissement Horeca est abject et intolérable, nous ne pouvons plus accepter ce type de comportement hérité d'un autre temps. Nous sommes en 2022, et que cet établissement l'accepte ou non, nous avons tous le droit de nous habiller comme nous le souhaitons sans avoir à nous exposer au jugement réprobateur de certains bigots. 

Nous sommes en 2022, nous ne sommes plus au Moyen-Âge, au cas où certains n'auraient pas encore compris ! Et cela vaut pour tous les Bruxellois : les femmes, les hommes, les personnes LGBTQIA+ et toutes les minorités également. 

La 28e action du plan vise à rendre les secteurs du tourisme, de la culture et de la vie nocturne plus inclusifs. Dans ce contexte, nous mènerons des actions positives et visibles pour diffuser et renforcer le sentiment que chacun est le bienvenu dans l'espace public bruxellois, indépendamment de son genre, de son orientation sexuelle et/ou de ses caractéristiques sexuelles. Nous organiserons également une "journée d'accueil LGBTQIA+" et un prix d'inclusion LGBTQIA+. Une formation pour le personnel de ce secteur est également prévue. 

Permettez-moi également de faire référence à l'appel à projets "Harcèlement sexiste et violence sexuelle dans la vie nocturne" clôturé le 30 avril, qui vise des initiatives et des collaborations à grande échelle entre les organisations bruxelloises et les acteurs du secteur, afin de rendre les établissements plus sûrs, plus inclusifs et plus solidaires. 

La nouvelle campagne "#sharethecolor"qui découle de la première action de ce plan a été réalisée par equal.brussels et est diffusée à grande échelle en ce moment. Comment avez-vous préparé cette campagne ? Avez-vous déjà des retours sur cette campagne en ce mois des fiertés ?   

Pour l'édition 2022 de la campagne #sharethecolor, equal.brussels a fait appel aux personnes LGBTQIA+ pour co-construire et diffuser son message de sensibilisation et de soutien. Cette année, l'accent a été mis sur l'inclusion des personnes LGBTQIA+ dans les quartiers de Bruxelles. Je voulais cibler un public plus large au cœur des différents quartiers où les personnes LGBTQIA+ vivent et travaillent plutôt que de me limiter au centre de Bruxelles-Ville où l'espace public et la vie sociale LGBTQIA+ sont plus visiblement concentrés. 

#sharethecolor est basé sur 4 objectifs :  

  • Combattre les stéréotypes et briser les tabous qui touchent spécifiquement les personnes LGBTQIA+.  
  • Promouvoir le respect de la diversité de l'orientation sexuelle, de l'identité de genre et des caractéristiques sexuelles.  
  • Faire valoir les droits des victimes de discrimination, de harcèlement ou de toute forme de violence à l'encontre des LGBTQIA+ en leur permettant de s'approprier l'espace public et en les responsabilisant.  
  • Sensibiliser les témoins de violence et de discrimination en leur offrant la possibilité de devenir de véritables alliés.  

Les affiches sont partout dans la ville, comme vous l'avez peut-être remarqué. On les trouve aux arrêts de métro et sur les flancs des tramways et des bus de la STIB. La campagne est également disponible sur les réseaux sociaux sous la forme de 8 témoignages authentiques de 15 secondes - ceux de Chloé, Louka, Emiel, Elliot, Nick, Mavi, Cannelle et Monia - publiés via Facebook, Instagram et Youtube. 

Les premiers retours sont très positifs, on voit beaucoup de selfies où les participantes affichent leurs ongles colorés. Les demandes de livraison de pots de vernis à ongles explosent et j'en suis très heureuse. 

Ces dernières semaines, certains politiciens flamands (Vooruit, NVA, CD&V) ont soulevé la question de la diversité à Bruxelles. Pensez-vous que cette grande diversité à Bruxelles est plutôt un obstacle ou une opportunité pour travailler à l'inclusion des personnes LGBTQIA+ ? 

Ce type de commentaire, qui frise le racisme, est l'apanage bien connu des conservateurs et autres ennemis de la diversité. Je refuse de lire la sociologie de Bruxelles à travers ce prisme trop étroit. La diversité de notre région est une force, pas une faiblesse. La diversité permet à différentes communautés qui ne semblent pas avoir grand-chose en commun de se rencontrer, de se parler, de mieux se connaître.  

C'est précisément pour cette raison que nous pouvons dire que Bruxelles est une région inclusive. Il existe bien sûr, et comme partout, des problèmes liés à l'inclusion des personnes LGBT+ dans leur quartier, mais cela n'a rien à voir avec la diversité de Bruxelles. C'est uniquement une question d'éducation et d'ouverture. 

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