Camille Pier, identité et pluridisciplinarité 

Par où commencer ? Entre un tout nouveau livre "Scandale !", un EP "Divinités", un documentaire "Queerying Nature" ou une performance pour Le festival MàD au Théâtre National et de nombreux projets à venir, Camille Pier est très occupé. Vous pouvez les appeler Camille, Pierre RococoNestor ou encore Josie. Découvrons-en un peu plus sur eux.

Parlez-nous un peu de vous. Quel a été votre parcours ?

Je suis poète, chanteuse et illustratrice. Mes poèmes viennent de la scène slam et mes chansons du cabaret, mais aujourd'hui j'écris surtout pour le théâtre. Autodidacte en dessin, diplômée en études littéraires, formée à la danse et à la musique depuis l'enfance, je mélange les langues et les genres pour créer des rituels artistiques.

J'ai grandi dans les années 90 dans un petit village de Wallonie. Il ne m'a pas fallu longtemps pour déménager à Bruxelles. On m'a assigné une fille à la naissance et j'ai fait mon coming out en tant que trans-masculin à 27 ans. J'ai toujours su que j'étais un garçon, mais pas aussi masculin qu'il le fallait pour pouvoir en parler. À l'époque, on ne parlait pas de transidentité, et encore moins de non-binarité, surtout pas pour ceux qui avaient été assignés à des femmes. J'ai été élevée par la famille qui m'a mise au monde, j'ai été aimée à la maison et je n'ai jamais manqué de rien. Mais de 7 à 14 ans, j'ai été victime de violentes brimades à l'école. Enfant, je pensais que quelque chose n'allait pas chez moi, que je ne pouvais pas être la petite fille qu'on attendait de moi et que ma famille m'aimait probablement pour de mauvaises raisons. Les adultes ne pouvaient pas m'aider. Je me suis réfugiée dans la lecture, le dessin et un monde imaginaire largement inspiré de la télévision. Très jeune, j'ai suivi des cours à l'académie et j'ai passé le plus clair de mon temps à la bibliothèque. Ces espaces de refuge m'ont construit plus solidement que l'école.

Lorsque j'ai commencé à "sortir" et à jouer le rôle de la fille qu'ils voyaient en moi, le harcèlement a cessé. J'étais donc ravie d'être une sorte de drag queen pendant ces années, vêtue d'immenses robes très décolletées, des bijoux dans mes cheveux coiffés comme un gâteau de mariage, et beaucoup de maquillage ! J'ai suivi des cours de théâtre physique parallèlement à mes études de littérature. Je dansais, jouais de la musique, écrivais des poèmes et des chansons tous les jours, mais la dépression me poursuivait comme une malédiction qui m'avait été jetée à un jeune âge. L'humour était un moyen de sauver la situation. Une fois diplômée, je me suis enfuie pour découvrir la vie nocturne !

En 2011, j'ai déménagé à Bruxelles et j'ai commencé à me produire en tant qu'artiste de cabaret en même temps que je commençais à faire du slam. Des blessures répétées et mystérieuses m'ont empêchée d'apprendre à danser. Aujourd'hui encore, je dois faire attention à ne pas trop solliciter les os fissurés de mes pieds. J'ai concentré ma création sur l'écriture, puis sur le dessin. Ce temps de retraite a eu un impact énorme sur mes performances. J'ai exploré davantage de formes de travestissement, le mélange entre la poésie et le mouvement, les fractures entre ce que l'on dit et ce que l'on montre, entre ce que l'on pense et ce que l'on ressent.

En dix ans de pratique, j'ai collaboré avec des artistes de disciplines très variées, avec divers collectifs de théâtre, de cabaret, de danse et de slam. En passant sans cesse d'un genre à l'autre, je me suis construit un style multilingue, j'ai mélangé les arts et fusionné les genres. Mon coming out trans en 2015 a été la meilleure chose pour ma santé mentale et ma carrière artistique. Les rencontres avec des artistes adelphes, des collectifs queer, des associations trans m'ont énormément porté dans mon processus de création et m'ont aidé à trouver du travail. J'ai travaillé comme programmatrice culturelle pour le Pride Festival mais aujourd'hui je suis une artiste pluridisciplinaire à plein temps. Mon plaisir est de faire dialoguer différents langages (dessin, musique, dramaturgie, mouvement, poésie) pour assembler toutes les pièces de mon patchwork dans un rituel artistique de réparation.


Quels sont vos projets actuels ou futurs ?

Cet automne a vu tomber beaucoup de feuilles. Je viens de publier un recueil de poèmes illustrés aux éditions L'Arbre de Diane : "Scandale ! Il raconte l'histoire d'un personnage de cabaret qui rêve de devenir réel. En septembre, j'ai sorti un EP intitulé "Divinités"sous le nom de Pierre Rococo ; j'ai collaboré avec Les Hommes-boîtes, Hicham, Gynoos, et Clem Thomas. Je prévois de sortir un album le 14 mars : "C'est déjà le printemps". Depuis cet automne, j'écris un nouveau spectacle sur le cabaret et ses mutations depuis 10 ans. Pour l'instant, c'est un récital de contes urbains, d'aventures féeriques radicales, d'anecdotes déguisées en légendes. Avec le biologiste Leo Palmeira, j'ai coécrit un spectacle intitulé " La Nature contre-nature (tout contre) ", une conférence scientificomique sur la diversité sexuelle chez les animaux. Depuis 2015, cette conférence drag stand-up est jouée dans toute la francophonie, dans des théâtres et des écoles. Nous avons publié le texte sous forme de livre illustré en 2016. Le 22 mars, nous sortirons un documentaire réalisé par Aline Magrez : "Queerying Nature", où nous interviewons des scientifiques et des artistes du monde entier sur le thème de la diversité naturelle. J'apparais dans ce film dans le cadre de cette transmission scientifique et artistique. Par ailleurs, j'anime des ateliers d'écriture, je réalise des fresques murales ou des illustrations, et enfin, je donne des formations sur l'inclusion des personnes trans dans le secteur culturel.

Que signifie pour vous le fait de faire partie de la communauté queer de Bruxelles ?

Bruxelles m'a littéralement sauvé. J'ai grandi dans le village d'Oleye, en pleine campagne. J'ai étudié à Liège, près des cathédrales sales, et j'y ai développé mon univers artistique. Aujourd'hui, je vis à Gand, au bord de l'eau et des canaux. La communauté queer de Gand est fantastique, mais c'est à Bruxelles que j'ai rencontré mes premiers adeptes. J'y ai vécu pendant dix ans et j'y ai trouvé pour la première fois de nouveaux modèles inspirants et positifs. C'est également dans cette ville que j'ai rencontré la troupe "Not Allowed" avec laquelle j'ai joué pendant plus d'un an. C'est à Bruxelles que j'ai rencontré et travaillé avec l'association Genres Pluriels, que j'ai pendu au bar RainbowHouse avant de programmer le Pride Festival. Je suis reconnaissante envers cette ville, sa communauté queer et tout ce qui y est possible. Pour moi, en faire partie signifie ne plus jamais se sentir seul et ne plus laisser la honte s'installer. Si je me laisse aller à la honte, c'est comme si j'avais honte de nous tous. Je me le répète souvent et cela m'aide.


Quelles sont vos influences homosexuelles ?

Mes premiers modèles étaient des artistes de cabaret, des personnages de dessins animés ou de films. Avec le temps et une lente déconstruction, ils se sont révélés très problématiques et pas du tout valorisants... mais c'était les seules représentations que l'on pouvait trouver pendant mon enfance dans les années 90 et 2000. Aujourd'hui, mes modèles sont beaucoup plus proches de moi, plus réels, luttant contre les discriminations et même contre les formes de rejet ou d'exclusion que l'on peut porter en soi. J'admire, dans ma vie de tous les jours, toutes ces personnes réelles, ces artivistes du quotidien, mes amis, mes amours et adeptes queer... Il y a deux de mes jedis, comme je les appelle : Nora K ou "Éphélide de mots" qui écrit de la poésie et réalise des performances érotico-culinaires, Léa Scope qui réalise les clips de mon projet Pierre Rococo mais qui est aussi artiste textile et réalise des costumes à partir de matériaux recyclés. Il y a King Baxter, Lylybeth Merle, La Veuve, Grib, Blanket la Goulue : mes adelphes du Royaume Nocturne.

Quelles sont les initiatives bruxelloises que vous aimez ?

Je suis très admirative de tout ce qui se passe entre les murs du Brussels Art & Pole. Cette école de danse, de pole dance et de disciplines aériennes est aussi un centre culturel alternatif. Elle questionne, explore, réinvente et invoque les potentiels et les pouvoirs de nos sexualités, de nos pouvoirs créatifs non-conformes. J'y animerai des ateliers d'écriture érotique à partir de février... Moi qui suis très pudique et acéphale, je me sens en totale confiance pour y accompagner l'écriture érotique d'autres personnes. Je les vois d'ici en quête de réappropriation de leurs corps, de leurs désirs, dans l'expansion de leurs limites ou la délimitation de leurs infinis. Vivement le printemps !

Crédits photos : Jérémy Sondeyker, Hélène Legrand, Anne-Sophie Guillet, Koen Van Buggenhout, Samir Sam'Touch et Anne Flore Mary

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